« The Social Dilemma » a du mal avec les métaphores

David Strom 15 nov. 2020

Malgré ses défauts, le film nous donne un aperçu du rôle des réseaux sociaux dans nos vies.

Diffusé par le Sundance Institute début 2020, le film documentaire The Social Dilemma (traduit en français par « Derrière nos écrans de fumée ») est disponible sur Netflix depuis septembre. Depuis sa sortie, il a reçu de nombreuses critiques.

Le film regroupe des témoignages d’anciens gérants de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Uber, Instagram…) et des têtes d’affiche comme Shoshana Zuboff, Jaron Lanier et Renee Diresta. Il démontre comment les géants du social nous ont vendus, nous et nos données, et comment nous sommes maintenant entre leurs mains. La critique du New York Times est plutôt positive : les interrogés sont « des déserteurs consciencieux de ces entreprises. Ils nous expliquent que la perniciosité des plateformes de réseaux sociaux est une fonctionnalité, pas un bug ». Le meilleur témoignage est celui de Tristan Harris, ancien spécialiste du design éthique chez Google, désormais à la tête de l’ONG Center for Humane Technology.

Même si on sait déjà tout cela, il est toujours bon d’entendre des créateurs de certaines de ces applis (l’un d’entre eux est l’inventeur du bouton « J’aime ») exprimer leurs regrets quant aux dérives que permettent leurs technologies (persécution, maltraitance des enfants, intimidation, infox pour provoquer la chute de nos institutions démocratiques…). (Ce rapport de BuzzFeed vaut également le détour : il relate la fuite du mémo d’une employée de Facebook dans lequel elle dévoile son rôle dans la manipulation des élections.)

En parallèle de ces entretiens, deux scénarios fictifs : le premier montre le rapport addictif d’une famille à la technologie (à la fois mignon et écœurant). Le deuxième met en scène trois acteurs jouant le rôle d’algorithmes profitant des faiblesses et des goûts des utilisateurs (juste énervant à mon goût).

Comme je me trouvais trop dur envers ces deux scénarios, j’ai demandé son avis à Patricia Boiko, une documentariste de Seattle. Globalement, elle a aimé le montage et le rythme des entretiens, mais elle trouve que les histoires ne servent absolument à rien : « J’ai eu du mal à les suivre et je ne les ai pas trouvées utiles ou crédibles. Elles relèvent plus du divertissement ». Pour elle aussi, les scènes de Star Trek dans le scénario sur les algorithmes « ne sont pas pertinentes et n’apportent rien aux témoignages des experts informatiques ». Elle ne pense pas que ces scènes puissent susciter l’intérêt du jeune public pour le film. 

Elle a regardé le film avec son mari, moins connaisseur en technologie, et a été surprise de constater que beaucoup des questions soulevées étaient nouvelles pour lui. « Je savais déjà que les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter collectaient et vendaient nos données personnelles. » Elle se souvient avoir été sur un service de streaming musical avec sa fille de 30 ans : « Je voulais écouter un groupe bien précis et je passais toutes les chansons que le service avait sélectionnées pour nous. Ma fille m’a alors grondée en disant que je faussais les algorithmes, comme si je faisais quelque chose de mal. J’ai alors compris que la génération de mes enfants comprenait le principe des algorithmes ». Je reviendrai plus tard sur le domptage de ces algorithmes.

Réflexions d'initiés sur les réseaux sociaux

J’ai demandé à des amis ce qu’ils avaient pensé du film et s’ils avaient appris quelque chose. L’un d’eux a répondu : « Personne n’est à l’abri. Facebook est dangereux et doit être régulé, d’une façon ou d’une autre. » L’autre m’a dit qu’après avoir vu ce film, il était content de ne pas avoir d’enfants. Il a ajouté : « J’aimerais surveiller mon propre comportement et mon temps d’écran, et que nos législateurs régulent ce train hors de contrôle ».

Par coïncidence, cette semaine, j’ai suivi un cours en ligne de littératie médiatique de l’université d’État de l’Arizona. L’un des modules affirmait ceci :

« Si, il y a 20 ans, le gouvernement des États-Unis avait proposé que tout le monde porte sur lui un dispositif permettant aux entreprises et aux forces de l’ordre de connaître à tout moment l’emplacement de chacun, les gens seraient allés manifester dans les rues. Pour plus de confort, nous avons cédé une énorme part de notre vie privée et de notre sécurité. Et avec la pandémie de coronavirus, nous sommes incités à céder davantage de terrain au nom de la santé publique ». Bienvenue dans la nouvelle normalité…  

Quelques conclusions

Que vous ayez aimé ou non le film ou que vous décidiez s'il vaut la peine de votre temps, voici trois points à retenir et des actions concrètes que vous pouvez faire pour mieux comprendre le rôle que jouent les algorithmes dans la société actuelle, des moyens de mieux protéger votre vie privée et recommandations d'autres contenus à consommer pour mieux expliquer ce que les producteurs de The Social Dilemma essayaient de faire.

Comprendre le rôle des algorithmes

Dans le film, le capital-risqueur Roger McNamee souligne que nous sommes opposés à un algorithme et au fait que ce n’est pas un combat loyal. Si vous voulez en savoir plus sur les algorithmes, je vous recommande ces liens :

Comment préserver votre vie privée ?

Regardez bien le film jusqu’au bout, car le générique de fin présente de très bons conseils.

Craig Danuloff a publié une critique du film sur le site ThePrivacy. Pour lui, ce documentaire « présente de manière terrifiante le mariage toxique entre réseaux sociaux et capitalisme de surveillance et comment, ensemble, ils nuisent à nos vies et à notre société. Ces entreprises savent comment nous pouvons réagir à divers stimuli et nous manipulent via nos flux. Elles profitent de notre dépendance pour vendre des idées. Les enjeux sont plus grands et le jeu plus corsé : il ne s’agit plus de simple personnalisation pour optimiser des ventes, mais de personnalisation pour pousser à la radicalisation, la falsification et l’antagonisme ». Il conclut son article en recommandant aux gérants de réseaux sociaux de s’éloigner des modèles commerciaux axés sur la publicité.

Pour aller plus loin

À mon avis sur le fait que le message du film n’était ni nouveau ni unique, l’interview de Joe Rogan avec le journaliste de Rolling Stone Matt Taibbi, tirée de son podcast en novembre dernier, couvrait une partie des mêmes raisons que celles évoquées dans le film.

Dans son article, Danuloff précise qu’il « n’accuse personne d’avoir voulu créer des boucles de rétroaction amenant des adolescents à se faire du mal ». Pour l’instant, The Social Dilemma n’apparaît pas dans la catégorie pour adolescents. Pas pour du contenu violent ou à caractère sexuel (il n’y en a pas), mais parce que la plupart des adolescents le mettraient plutôt dans la catégorie Ennuyeux. Vous pouvez aussi regarder le film Screenagers de Delaney Ruston : il présente la vie d’adolescents et comment, avec leur famille, ils décident de réguler l’utilisation de leur écran. Pour voir le film, vous devez le demander directement au réalisateur, mais si vous voulez juste des conseils pour mieux utiliser les réseaux sociaux, vous pouvez aussi tout simplement aller sur la page de ressources du site.

Que penser de The Social Dilemma ? Ce n’est pas un film parfait. Mais c’est déjà un aperçu du rôle des réseaux sociaux dans nos vies. C’est un bon point de départ pour parler avec nos proches qui sont moins familiers avec la technologie.

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