Un déménagement engage de grosses sommes d’argent, et mieux vaut approfondir vos recherches en ligne. Voici quelques conseils pour éviter les arnaques. Les escrocs manipulent le système d’évaluation pour piéger les consommateurs les plus avertis.
Les déménagements longue distance sont rarement une partie de plaisir. Kari est bien placée pour le savoir, puisqu’en 2018, la jeune femme a quitté la côte Est des États-Unis après avoir décroché un travail à San Francisco, à l’autre bout du pays. Pourtant, ce stress n’était rien face à celui qu’elle allait connaître pour retourner vivre à Boston pendant la pandémie de COVID-19. Au programme de ce nouveau déménagement : dépenses, frustration et déconvenues.
Kari, qui estime être une consommatrice avertie, a passé des heures à rechercher les déménageurs parfaits. Elle a comparé les avis publiés sur différents sites, obtenu plusieurs devis et s’est longuement entretenue par téléphone avec les commerciaux. Son choix s’est finalement porté sur Alltrust Movers. L’entreprise arborait « d’excellentes évaluations, un représentant commercial à l’écoute et un prix imbattable. » Il ne lui restait plus qu’à dresser la liste de ses effets personnels pour obtenir une estimation des coûts, déposer une garantie de 800 euro et communiquer au prestataire sa date de fin de bail.
(Montant engagé jusque-là : 800€.)
« Nous étions en pleine crise sanitaire et mon timing était donc très serré », confie Kari à Avast. « J’avais prévu de prendre l’avion pour San Francisco, d’empaqueter rapidement toutes mes affaires, puis de reprendre un vol pour Boston la nuit du déménagement. »
Comme souvent dans ce genre de service, l’entreprise est censée l’appeler la veille pour lui communiquer l’heure d’arrivée des déménageurs le jour J. Mais à J-1, pas d’appel. Elle décide donc de s’enquérir auprès de ce fameux commercial « à l’écoute » et « réactif » : aucune réponse. La ligne principale de l’entreprise ? Rien. Le service client ? Pas mieux. Il ne lui reste plus qu’une chose à faire : paniquer.
Kari parvient enfin à joindre le service commercial. Le verdict est formel : les déménageurs ne viendront pas le jour prévu, mais le lendemain. Après tout, comme son interlocuteur le lui rappelle, le contrat prévoit une fenêtre de deux jours pour le déménagement. Peut-être, mais Kari rétorque tout de même qu’Alltrust était censée la prévenir en cas de délai. Quoiqu’il en soit, l’entreprise ne peut apparemment rien y faire.
Trêve de bavardage, l’heure est à la gestion de crise : Kari négocie une journée de plus avec sa société de gestion immobilière, puis contacte la compagnie aérienne afin de changer ses billets d’avion. Il faut savoir relativiser : Kari n’est certainement pas la seule à vivre ce genre de situation, surtout pour un tel déménagement. Même en temps normal, rien ne se déroule comme prévu, alors en pleine pandémie…
(Montant engagé jusque-là : 1 000€.)
Le lendemain, les déménageurs arrivent enfin, mais demandent à Kari un supplément de 2500 euro, soit près du double du tarif initial, après avoir estimé le volume de biens à transporter. Elle est tenue de signer le nouveau contrat et de régler immédiatement la somme, sans quoi les déménageurs repartiront les mains vides.
« Toutes mes affaires étaient déjà dehors, la machine était lancée et je n’avais pas vraiment le choix. Je me suis donc résignée à signer le contrat. »
(Montant engagé jusque-là : 6000€.)
Kari rentre donc à Boston, mais un mois plus tard, son nouvel appartement est toujours vide. Où sont ses affaires ? Ça, elle n’en a aucune idée. Ce n’est pas faute d’avoir appelé Alltrust tous les jours, en vain. Au bout d’un mois, l’entreprise lui répond enfin. Impossible de lui communiquer la date d’arrivée de ses cartons : avait-elle bien lu les clauses du contrat ? Les déménageurs s’autorisent en effet un délai maximal de 21 jours à compter de la « première date de livraison disponible ».
Invoquant toujours les termes du même contrat, son interlocuteur clôt la conversation, car il n’est pas tenu de lui en dire plus. D’après Kari, si l’on se fie au document, il faut attendre au moins quatre semaines après la date du déménagement. « Nous ne pouvons rien y faire », lui répond Alltrust.
Tous les jours, pendant six semaines, Kari appelle l’entreprise de déménagement. La plupart du temps, Alltrust se refuse à lui indiquer où se trouvent ses affaires, ni même quand elle pourra les récupérer. Parfois, ses appels restent simplement sans réponse. Lorsqu’elle parvient enfin à joindre le responsable, ce dernier la met en attente pendant une heure, avant de raccrocher.
« Cela faisait six semaines que je travaillais dans un appartement vide, sans même une chaise pour m’asseoir ou un lit pour dormir, et sans pouvoir me faire à manger », explique Kari.
À bout de nerfs, la jeune femme explique son cas à la police de Miami, où est basée Alltrust. C’est apparemment un déclic : le responsable la rappelle, énervé et très agressif, pour finalement lui indiquer où sont ses cartons. Toutefois, elle n’est pas en droit d’aller les récupérer.
En fin de compte, tous ses effets n’ont jamais quitté la Californie, et aucune tentative de déménagement n’a été effectuée. Le responsable ajoute que, conformément aux dispositions contractuelles, Kari a le droit de fixer une date de livraison spécifique contre la modique somme de 1200€. Kari refuse.
« J’étais restée plusieurs semaines sans avoir la moindre nouvelle, jusqu’à ce que la police intervienne », nous rappelle-t-elle.
(Montant réclamé jusque-là : 7000 €. Montant engagé : 6000€.)
Une arnaque basée sur de faux avis
Alors que Kari cherche désespérément un moyen de récupérer ses affaires sans payer cette « rançon », elle comprend une chose : les avis positifs qu’elle a lus il y a quelques mois étaient probablement faux. En y regardant de plus près, Kari observe des schémas qu’elle n’avait pas repérés jusqu’alors. Les avis positifs, par exemple, emploient tous un langage similaire et n’envahissent que les premières pages.
Ce n’est qu’en creusant jusqu’à la deuxième ou troisième page que Kari retrouve des récits similaires au sien : un commercial à l’écoute ; un super devis ; un tarif qui double le jour du déménagement ; les cartons qui n’arrivent pas à temps ; le mutisme du prestataire ; les affaires qui n’arrivent toujours pas, jour après jour ; puis l’entreprise qui demande encore de l’argent.
D’après Art Forrester, enquêteur auprès du bureau d’éthique commerciale (Better Business Bureau) de Floride, ce type d’arnaque est assez répandu dans le secteur du déménagement, qui n’est pas assez encadré par le gouvernement américain. En Floride, une entreprise de déménagement « ne requiert aucune licence », nous confie-t-il.
« S’enregistrer au registre du commerce leur coûte 100 euro. Il suffit ensuite de se manifester auprès du département des Transports et de verser une caution de 60000 euro au titre des assurances. »
Ce manque d’accréditation, ajouté à la nature sensible de la prestation (après tout, les déménageurs prennent temporairement possession de la quasi-totalité de nos biens matériels), ouvre une voie royale aux arnaques. C’est ce que finit par réaliser Kari : elle a été victime d’une escroquerie.
D’après un représentant de Gentle Giants, une autre société de déménagement basée à Boston, ce genre d’arnaque « prend de plus en plus d’ampleur » depuis le début de la pandémie de COVID-19. L’escroquerie commence en ligne : dès que les avis négatifs s’accumulent, l’entité change de nom d’entreprise et de domaine. « Alltrust Movers » peut ainsi devenir tour à tour « All Trust Movers », « All Trust Moving and Storage », ou encore « All Trust Moving Company ».
Cette approche vise à tromper les consommateurs les plus avertis, qui pourraient facilement croire qu’un avis négatif s’est glissé par erreur. Pourtant, il s’agit bien de la même entreprise, mais avec un nom de domaine différent.
Avast a donc interrogé Art Forrester au sujet des avis positifs publiés pour le compte d’Alltrust Movers sur le site du Better Business Bureau. L’enquêteur nous explique que le BBB a recours aux services d’un prestataire externe pour déterminer si un avis est bien réel. Plusieurs critères sont passés au peigne fin, notamment l’adresse physique et électronique des entreprises. Toutefois, nous n’en révèlerons pas plus, afin de ne pas faciliter la tâche aux escrocs.
« Cette méthode n’est certainement pas inviolable, mais elle nous sert de radar pour sonder l’horizon », précise Art Forrester.
L’enquêteur du bureau d’éthique commerciale s’est penché lui-même sur le cas d’Alltrust et a repéré certains signaux d’alerte ayant échappé à son algorithme. Par exemple, la plupart des avis datent du même mois, ce qui est assez étrange pour une société de déménagement. D’autre part, ces derniers proviennent tous de comptes Gmail, gratuits et on ne peut plus simples à créer.
« Normalement, on retrouve différentes adresses Hotmail, Yahoo, AOL ou encore des adresses professionnelles », poursuit-il. « Mais le fait que seuls des comptes Gmail soient utilisés est un signal d’alerte en soi. »
De même, bien que les adresses IP liées à ces évaluations soient toutes différentes, ces dernières ont presque toutes été publiées entre 7 h et 8 h du matin. « C’est plutôt suspect : vous avez l’habitude de boire votre café en écrivant des évaluations dès le réveil ? »
Le mystère des cartons disparus
Neuf semaines après son départ de San Francisco, soit cinq semaines après la date prévue, Kari reçoit enfin ses affaires. « Certains objets étaient cassés, d’autres manquaient à l’appel », nous explique-t-elle.
« Tout était étiqueté et, "comme par hasard", la boîte contenant pour plus de 1500 euro de biens personnels a disparu. Je suis convaincue qu’ils ont volé mes affaires afin de les revendre. Ces gens dirigent une véritable escroquerie en ligne. »
En réponse à ses réclamations, Alltrust demande à Kari, sur un ton quasi juridique, de lui fournir les preuves d’achat des fameux objets manquants. « Comme si tout le monde gardait ses factures d’achat de plus de cinq ans », soupire Kari.
Soulagée d’avoir récupéré la majorité de ses affaires et de pouvoir enfin investir son nouvel appartement, Kari reste malgré tout déçue de s’être fait berner de la sorte. « Leur méthode peut tromper même les personnes averties », admet-elle.
Les arnaques qui manipulent le système des évaluations sont en effet terriblement efficaces, car nous nous fions davantage à l’opinion de nos pairs qu’aux dires des entreprises. C’est un peu comme la réputation d’un restaurant, qui peut se faire ou se défaire à la longueur de sa file d’attente. Et cette confiance, nous l’accordons aussi à des inconnus, parfois à tort.
Entre le déménagement de Kari et la publication de cet article, les mauvaises évaluations d’Alltrust Movers se sont accumulées de plus belle. Avast a contacté Alltrust afin d’entendre son point de vue, mais nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour. La première page de Yelp, par exemple, est remplie d’avis une étoile, décrivant tous la même arnaque ad nauseam. À la lumière de ces nouvelles évaluations, Kari n’aurait jamais choisi ce prestataire.
Comment éviter les arnaques au déménagement
Dès que de grosses sommes d’argent sont en jeu (comme dans le cas présent), mieux vaut approfondir vos recherches. Contrairement aux spécialistes comme Art Forrester, le consommateur lambda n’a pas forcément accès aux adresses IP ou aux dates de publication associées à un avis. Voici pourtant quelques conseils qui vous permettront de repérer plus facilement ces escrocs-déménageurs.
Tout d’abord, vérifiez si l’entreprise bénéficie d’une quelconque accréditation. Aux États-Unis, même si l’industrie du déménagement est peu régulée, certaines organisations font de leur mieux pour aider le consommateur. Après une enquête rigoureuse, les bureaux d’éthique commerciale (Better Business Bureau) peuvent par exemple certifier les prestations d’une entreprise donnée. Précisons d’ailleurs que, même si Alltrust Movers avait des évaluations sur le site du BBB, la société n’était pas accréditée par cet organisme : c’est un détail qu’il est important de souligner.
Pour écarter les doutes au sujet d’une entreprise, Art Forrester suggère de consulter l’adresse fournie. Vous pouvez par exemple y jeter un œil sur Google Maps, voire vérifier par vous-même s’il s’agit d’un prestataire local. Le lieu semble suspect, ou bien l’adresse correspond à une boîte postale ? Ceci est un signal d’alerte.
Méfiez-vous aussi des entreprises qui vous font agir dans la précipitation, en vous demandant par exemple de signer un document en ligne avant de vous montrer le véritable contrat. « Les escrocs tentent toujours d’accélérer la vente », poursuit l’enquêteur du BBB. Attention aussi au jargon qu’emploient les commerciaux afin d’embrouiller le client.
« Leur métier, c’est de vendre par téléphone. Et croyez-moi, ils en connaissent toutes les ficelles. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à employer une terminologie obscure. Par exemple, même si vous comprenez ces termes d’un point de vue général, savez-vous vraiment ce que représentent 25 mètres cubes ? Je n’en suis pas convaincu », conclut-il.
Un coût anormalement bas doit aussi vous alerter. Un déménagement engage beaucoup de frais, et nous cherchons naturellement à trouver la meilleure offre. Mais comme Kari l’a si bien appris à ses dépens, les escrocs peuvent aller jusqu’à doubler leur devis initial.
« Un déménagement de Los Angeles à Boston, c’est-à-dire presque d’un bout à l’autre des États-Unis, pour seulement 3 000 euro ? Cela vous semble raisonnable ? Demandez un deuxième, voire un troisième devis », commente M. Forrester. « C’est comme partout. Si vous trouvez une voiture moins chère que chez tous les autres concessionnaires, c’est qu’elle doit avoir un problème. »
Pour finir, lisez le contrat. En entier. Y compris les petits caractères ! C’est souvent là que se cachent les problèmes. Lors de leurs échanges, Alltrust n’a pas hésité à renvoyer Kari aux subtilités et aux annexes de son contrat, notamment celui que l’entreprise lui a fait signer le jour de son déménagement.
« Lisez ce que dit le contrat. Celui-ci est peut-être dense et difficile à comprendre : demandez de l’aide à un ami qui s’y connaît. Les contrats sont rédigés par des avocats afin de protéger l’entreprise avant tout. »
De son côté, Kari veut simplement tourner la page. En attendant d’en savoir plus sur ses affaires disparues, elle est heureuse de savoir que le BBB a décidé de supprimer les avis suspects et de suspendre l’évaluation de l’entreprise. Elle espère aussi que son histoire servira d’avertissement aux personnes qui comme elle souhaitent déménager, notamment en cette période déjà stressante.
« C’est horrible de savoir que [cette entreprise] continue d’abuser de la faiblesse des gens », déclare Kari. « J’ai essayé en vain de faire appel à leur humanité. »
Montant total dépensé : 6500 €
Valeur totale des biens perdus et cassés : 1500 €
Coût total : 8000 €