Devons-nous exiger des gouvernements de partager leurs données avec le public ?

Ondrej Kramolis 1 févr. 2021

Voici comment changer de mentalité à propos de la transparence des données gouvernementales

C’est l’un des plus gros clichés du moment : les données sont le nouveau pétrole. Cliché ou pas, ce n’en est pas moins vrai. 

Les données gouvernementales représentent l’un des plus importants réservoirs de données, trop peu exploité jusqu’à présent. Les gouvernements du monde entier recueillent en effet d’énormes quantités de données pouvant par exemple inclure les éléments suivants :

  • Informations des registres publics (cadastre, chambre de commerce, registre des brevets) ;
  • Informations juridiques (statuts, décrets gouvernementaux, décisions de justice) ;
  • Informations géographiques (cartes, photos aériennes, informations topographiques) ;
  • Informations météorologiques (bulletins météorologiques, modèles climatiques) ; 
  • Données socio-économiques (différents types de statistiques relatives à la population, l’économie, la santé ou l’emploi) ; 
  • Informations sur le transport (embouteillages, travaux de voirie, transports en commun, immatriculation des véhicules).

Avec la migration actuelle vers le numérique, le volume de données recueillies augmente chaque année, tout comme les conversions d’anciennes versions papier vers de nouveaux formats numériques. Ces données restent toutefois sous-utilisées en dépit de leur pouvoir incroyable. 

C’est en partie dû au fait que les organismes gouvernementaux ne sont pas particulièrement bien équipés pour exploiter ce potentiel, avec une explication évidente : Ils ont fort à faire au sein de l’administration publique. Ils ne disposent par ailleurs généralement que de ressources limitées et l’esprit d’entreprise requis leur fait défaut. 

Transparence des données gouvernementales

Une façon de remédier à cette lacune est que les gouvernements mettent leurs données à la disposition du public. Baptisée « transparence de données gouvernementales », cette démarche est pratiquée par la plupart des gouvernements. 

Nous avons déjà de nombreux exemples d’utilisation efficace de données gouvernementales par des entreprises, comme les applications de cartographie ou de prévisions météo qui reposent sur de telles données. Mais les données gouvernementales pourraient être utilisées de bien d’autres façons. Par exemple, cela pourrait améliorer les applications comme Où sont les toilettes ?, très pratique : elle peut vous aider à trouver des toilettes publiques propres dans différentes villes.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est l’une des organisations internationales prônant l’avancement de ce programme de transparence gouvernementale. Tous les deux ans, l’OCDE publie l’indice OURdata, qui analyse la disponibilité, l’accessibilité et la réutilisation des données gouvernementales. La Corée du Sud, la France et l’Irlande sont les trois pays de l’OCDE qui tirent leur épingle du jeu à ce niveau. Pour connaître la performance de votre pays dans le cadre de cet indice, jetez donc un coup d’œil au rapport de l’OCDE. 

L’UE va-t-elle aider ?

En dépit de progrès significatifs dans ce domaine, la plupart des gouvernements n’en font pas encore assez pour mettre leurs données à la disposition du public et autoriser les chercheurs et entreprises à les traiter. L’intensification des efforts de l’Union européenne à ce niveau est donc une bonne nouvelle.

En novembre de l’année dernière, la Commission européenne a publié son projet d’Acte sur la gouvernance des données. Cette proposition vise à créer un cadre pour une plus grande réutilisation des données en renforçant les différents mécanismes de partage des données au sein de l’UE. L’un des principaux volets de la proposition traite de la réutilisation des données gouvernementales. La version actuelle interdit aux organismes gouvernementaux de souscrire à des accords exclusifs de partage de données et définit certaines conditions de base pour la mise à la disposition des données auprès du public. C’est tout à fait logique si l’on veut veiller à ce que les données gouvernementales soient à la disposition de chacun. 

Le fait que la proposition confirme également explicitement ne créer aucune obligation pour les organismes gouvernementaux de rendre les données disponibles pour réutilisation m’apparaît toutefois comme une occasion manquée. Il incombera donc toujours aux États membres de décider quelles données rendre publiques. 

C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à rédiger cet article. Cette approche n’est-elle pas fondamentalement imparfaite ? La position par défaut ne devrait-elle pas être de rendre publiques toutes les données gouvernementales, sauf celles désignées par le gouvernement comme non adaptées à cette fin ? 

Arguments en faveur d’un changement radical de mentalité à propos de la transparence des données gouvernementales

Voici comment cela pourrait fonctionner : tout ensemble de données traité par un organisme gouvernemental devrait être rendu public dans un format numérique approprié. Ces données devraient être anonymisées et agrégées si elles venaient à contenir des données à caractère personnel, des secrets d’État ou des informations confidentielles d’entreprise. Il y aurait également une liste exhaustive des exceptions aux exigences de publication des données, comme des motifs de sécurité nationale. La position par défaut serait toutefois très claire : si vous ne relevez pas de l’exception, vous devez publier les données. 

Le lancement de cette initiative serait certainement difficile, puisque de nombreuses bases de données gouvernementales n’ont pas été conçues dans l’optique d’être rendues publiquement disponibles. Ces difficultés techniques disparaîtront toutefois une fois que les gouvernements commenceront à créer et actualiser leurs bases de données en tenant compte de ces nouveaux critères. 

Différents arguments imparables plaident pour la logique de ce changement radical vers une transparence obligatoire. Sans l’obligation stricte de publier ces données, les organismes gouvernementaux n’ont guère d’intérêt à le faire. Non seulement cela représente du travail supplémentaire, mais leur bonne action pourrait se retourner contre eux si les données publiées révélaient des défaillances dans leur gouvernance. L’ouverture des données au public améliore par ailleurs la transparence gouvernementale et renforce la confiance que le public lui porte.

Mon principal argument en faveur de ce changement d’approche est toutefois le suivant : personne ne conteste la valeur des données gouvernementales ni le fait que les gouvernements eux-mêmes ne sont pas en mesure de pleinement les exploiter pour de nombreuses de raisons. Qui plus est, si la valeur de certaines données gouvernementales (comme des informations géographiques ou météorologiques) semble évidente, nombreux sont les autres ensembles de données qu’un gouvernement peut juger inutiles pour une utilisation privée. De tels ensembles de données ne seraient donc que rarement rendus publics volontairement, puisque le gouvernement ne verrait aucune raison de le faire. 

Les pouvoirs publics ne sont toutefois pas les plus à même de percevoir la valeur des données. Cette décision devrait être laissée aux entreprises et aux chercheurs. Parfois, un ensemble de données à première vue inutilisable peut révéler des renseignements précieux après des recherches et analyses plus poussées et donner lieu à de fascinants cas d’utilisation. À moins d’ouvrir les données au public et de laisser les entreprises et les chercheurs y accéder, nous ne le saurons jamais. 

J’ai un dernier argument à vous proposer, sans doute le seul dont vous avez besoin pour défendre la transparence obligatoire des données gouvernementales : recueillies par le gouvernement au nom de ses citoyens, ces données sont la propriété de ces mêmes citoyens. Chacun d’entre eux devrait donc être autorisé à y avoir accès, tout simplement.

 

 

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